jeudi

Pie XII

Voilà un kilo de rouge que j'ai acheté chez Denner à 4.95. Il s'agit d'une gamme qui se décline en deux versions selon les époques. Gamay de France ou Gamay romand.


Ce qui m'a fait hurler de rire est le nom trouvé pour ennoblir ce gamay vin de pays: La Croix du Seigneur, ce qui peut se lire La Croix Gamay. Un vin qui pourrait avoir un gros succès chez les néo-nazis. Mais la décoration de la bouteille n'est pas tombée dans le piège, qui de toute façon aurait été illégal. 

On y a pourtant placé une croix dans un pastiche d'armoiries ecclésiastiques, ce qui indubitablement fait penser aux gammes de vins de Châteauneuf-du-Pape ou autres prestigieuses appellations.

Et pourtant du strict point de vue de la loi ecclésiastique, la croix représentée ici et le complexe héraldique qui la met en écrin est interdit aussi.


Quelques points d'analyse:

1. La forme du blason avec des éléments architectoniques est d'origine italienne et commence à se développer à partir de la moitié du XVIème siècle. Si on le compare avec l'écu de la pièce de 5 francs, c'est le jour et la nuit. Jusque là, le graphiste témoigne d'un goût du kitsch, mais ne viole aucune loi, ni ecclésiastique ni héraldique.

2. Le timbre, c'est à dire le chapeau qui est posé sur l'écu. Il s'agit d'une mitre, or son usage est interdit par l'instruction Ut sive sollicite du 31 mars 1969. C'est à dire depuis Paul VI. Et depuis Benoît XVI la mitre n'est portée que sur les armoiries du pape pour remplacer la tiare. De même la crosse épiscopale n'est plus représentée comme ornement sur les armoiries.

3. L'épée qui se trouve à dextre derrière l'écu croisé avec la crosse, est par contre interdite depuis plus longtemps encore, c'est Pie XII qui a banni des armoiries les signes de dignité séculière. Genau: Papst Pius XII hat allen Prälaten emphohlen, auf weltliche Würdezeichen ausserhalb des Schildes zu verzichten! Klar?

4. Quant aux meubles, c'est à dire à ce qui se trouve à l'intérieur de l'écu, y a quelque chose d'assez marrant puisqu'il sont représentés en superposant les codes graphiques en noir et blanc, avec la couleur. On remarque une roue centrale d'argent et de sable posée au centre d'une croix d'or dont les pointillés sont justement le code de gravure, de même le champ est de gueules, c'est à dire rouge et en même temps figuré par des hachures verticales, ce qui est donc à nouveau redondant.  La chose n'est pas contradictoire même si elle reste pléonastique. Quand au champ intérieur qui est hachuré de lignes horizontales et verticales et qui parait blanc, c'est la représentation codée du sable, c'est à dire du noir. C'est le même code que l'on trouve chaque fois que les couleurs et émaux sont gravées plutôt que peintes. Comme par exemple sur les pièces de monnaies où l'on voit que le rouge est figuré par les mêmes hachures verticales que sur la bouteille:


Les armoiries dans le style antique italien sont donc celles d'un évêque qui exerce un pouvoir temporel ou qui s'en souvient (et qui exerce un pouvoir de juridiction puisque la crosse est tournée vers l'extérieur) mais sont interdites d'usage depuis Pie XII. 

Dans un article très documenté de l'historien et révérend chanoine de la royale abbaye de St-Maurice d'Agaune Léon Dupont Lachenal, paru dans les Bulletin annuel des Annales Valaisannes de 1973, pp.77 à 83, on apprend que quelques papes ont passé par le Valais et ont donc dégusté du vin d'ici, au moins pendant la célébration de la messe.

Le premier fut Etienne II, le deuxième Léon III, le troisième Léon IX et le quatrième Eugène III et le cinquième Grégoire X. Pie XI, s'y arrêta avant d'être pape et Pie XII également. 

Pie XII s'arrêta à l'hôtel de la Gare, alors que le train y faisait une halte de nuit, il ne se rendit pas à l'abbaye mais célébra discrètement le lendemain à l'église paroissiale chez le chanoine Chambettaz. L'anecdote a été racontée par Pie XII lui-même à Mgr Burquier. Quelques années plus tard Roncalli s'y arrêta aussi. 

D. Rausis 





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